PARTICIPANTS
Mark Brisley
Directeur général et chef, Fonds Dynamique
Jennifer Stevenson
Vice-présidente et gestionnaire de portefeuille
PRÉSENTATION
Mark Brisley : Vous écoutez On the Money de Fonds Dynamique, une série de balados qui vous donne accès à certains des portefeuillistes les plus aguerris en gestion active ainsi qu’à des maîtres à penser dans le domaine de la finance. Lors de nos rencontres, nous posons à nos invités des questions pertinentes afin de connaître leur point de vue sur la conjoncture et de recueillir leurs conseils sur la manière de composer avec le contexte actuel.
Bienvenue à un autre balado On the Money. Mon nom est Mark Brisley. Le monde sort tranquillement de la pandémie, qui était au cœur de nos préoccupations quotidiennes. Son attention se porte désormais sur ce qui fait inévitablement les manchettes, soit l’inflation, les chaînes d’approvisionnement et les prix de l’énergie. La reprise économique mondiale semble vraiment être la cause des pénuries qui touchent presque tous les aspects des biens, des services et des matériaux.
Les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement occupent la scène depuis l’apparition de la COVID-19 et continuent à la dominer pendant la reprise. Elles seraient à l’origine des pressions inflationnistes actuelles. Elles touchent divers aspects de notre vie quotidienne. La pression haussière qu’elles exercent sur les prix de l’énergie arrive en tête de liste. Le pétrole a renoué avec les niveaux prépandémie et a gagné près de 20 $ de plus. Le gaz naturel a augmenté dans des proportions encore plus importantes, son prix ayant presque doublé depuis son creux de 2021.
Je reçois aujourd’hui Jennifer Stevenson, qui est établie à Calgary, au cœur du secteur canadien de l’énergie, où elle a facilement accès aux sociétés qui se trouvent dans sa mire. Jennifer se rend régulièrement dans d’autres régions qui sont des plaques tournantes de ce segment du marché. Elle possède une vaste expérience dans le domaine énergétique, où elle évolue depuis près de trois décennies. Elle adopte une approche mondiale pour ratisser très large, de manière à dénicher des sociétés de la plus grande qualité qui sont dirigées de main de maître et qui ont un modèle d’entreprise viable à long terme.
Aujourd’hui, nous souhaitons aborder la question de l’énergie au moyen de termes concrets et compréhensibles, car quand on se trouve à la pompe à essence ou qu’on paie ses factures de chauffage, on ne pense pas aux problèmes liés au WTI (West Texas Intermediate) ou au Brent. Peut-être vous demandez-vous même de quoi je parle. Bonjour, Jennifer, et merci d’être là. Entrons tout de suite dans le vif du sujet en parlant des principales raisons de l’augmentation des prix de l’énergie en ce moment.
Jennifer Stevenson : Le problème des prix du pétrole diffère de celui du gaz naturel, mais il se résume en gros à l’offre et à la demande. La demande a connu une énorme contraction en raison de l’apparition de la COVID-19 et le prix du pétrole s’est effondré. En fait, le prix des contrats à terme sur le WTI est passé en territoire négatif. Cette dégringolade de la demande a créé une pénurie de liquidités et une importante chute des dépenses en capital. De plus, on n’observe aucune croissance de l’offre du côté des sources d’approvisionnement habituelles, mais il existe toujours une offre. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) dispose d’une capacité excédentaire, qu’elle a fait couler sur le marché de façon rigoureuse et méthodique afin d’essayer de stimuler le prix du pétrole et l’amener à un niveau plus sain.
La demande a remonté en flèche, la situation liée à la COVID-19 s’étant améliorée. Les voyages et les déplacements ont augmenté, tout comme la demande de biens et de services. Or, cela nécessite de l’énergie. Vu la contraction tant de l’offre que des dépenses et la remontée plutôt importante de la demande, l’OPEP comble l’écart jusqu’à un certain point, tout en s’assurant que les prix sont suffisamment élevés pour qu’il soit rentable pour ses États membres de continuer à augmenter cette capacité excédentaire. Auparavant, des segments comme le schiste américain se chargeaient d’accroître rapidement l’offre. Aujourd’hui, il n’y a tout simplement pas de capitaux investis dans l’exploitation pour créer cette croissance, car ce n’est pas ce que veulent les actionnaires.
Mark Brisley : Selon un des gros titres les plus dérangeants qui circulent abondamment en ce moment, nous serions peut-être au bord d’une crise énergétique. D’ailleurs, je lisais ce matin des articles consacrés aux lumières de rue qu’on éteint et aux usines qui ferment. On parle aussi d’une récente pénurie d’essence au Royaume-Uni, de la flambée des prix du gaz naturel en Europe et du risque d’importantes pannes de courant en Inde. S’agit-il seulement de problèmes localisés ou de réels symptômes d’une crise plus vaste sur les marchés de l’énergie?
Jennifer Stevenson : Les manchettes sont inquiétantes. Néanmoins, je les trouve toujours assez sensationnalistes, car c’est une façon de générer des clics ou des ventes de journaux, quel que soit le mécanisme de distribution. Examinons simplement la situation. Les prix du gaz naturel sont élevés actuellement. Le problème de l’essence, du diesel et du pétrole au Royaume-Uni n’en est pas du tout un d’approvisionnement de produit au niveau mondial. Il s’agit plutôt d’un problème régional d’acheminement vers les stations-service au Royaume-Uni. En effet, l’essence et le diesel doivent être transportés par camion et il manque de chauffeurs.
Cela s’explique en partie par la pénurie de main-d’œuvre que connaissent divers secteurs en raison de la pandémie et des subventions salariales du gouvernement, qui prennent progressivement fin. Au Royaume-Uni, la situation est exacerbée par le Brexit, le secteur du camionnage employant beaucoup de ressortissants étrangers, qui ne peuvent plus travailler dans le pays. Il manque donc des milliers de ces fournisseurs de services d’approvisionnement, ce qui signifie qu’il y a des stations-service sans gaz ou sans essence. Or, que se passe-t-il lorsqu’on entend ça? On se précipite aussitôt pour faire le plein d’essence. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit l’an dernier quand la COVID-19 a commencé. Tout le monde avait alors fait des provisions de papier de toilette pour une année entière, provoquant ainsi une pénurie. Le problème de l’essence au Royaume-Uni découle principalement du Brexit et peut être résolu. La situation du gaz naturel s’est détériorée avec le temps. Le Vieux Continent a connu un hiver glacial l’an passé, ce qui a fait baisser les stocks de gaz naturel. C’est ce qui arrive quand il fait froid. L’Europe n’a toutefois pas pu relever les stocks à des niveaux convenables avant cet hiver, car, entre-temps, l’Asie a connu un été chaud, ce qui y a fait bondir la demande de gaz naturel et, par le fait même, son prix. Cependant, les services publics européens ne voulaient pas payer le prix fort pour stocker le gaz. Or, il est toujours élevé à l’aube de l’hiver.
En outre, l’Europe reçoit également du gaz naturel de la Russie. Or, il y a des gazoducs qui passent par l’Ukraine et qui ne sont pas alimentés en raison du nouveau pipeline Nord Stream 2, dont la construction est terminée et qui va de la Russie à l’Allemagne. Ce dernier est bien rempli, mais le gaz naturel ne coule pas encore en sol germanique, car il faut l’approbation du gouvernement allemand et de l’Union européenne (UE).
L’Allemagne, qui vient d’avoir des élections, met en place un gouvernement de coalition. On se demande ce que celui-ci fera. Le pays a besoin du gaz naturel, mais comme cette coalition comprend des Verts, on ne sait pas ce qui adviendra. On attend aussi l’approbation de l’UE. Vladimir Poutine a dit qu’il n’enverrait pas de gaz tant que ce ne sera pas approuvé. Il y a une solution à cela, mais elle est politique. Entre temps, la demande de gaz naturel persiste et les prix s’avèrent élevés. On cherche donc à réduire la consommation, en diminuant par exemple l’intensité de l’éclairage des rues ou le nombre d’usines en service.
Comme le gaz naturel est actuellement plus cher que le pétrole en Europe, des centrales électriques brûlent du pétrole au lieu du gaz naturel pour faire face à ce problème à court terme. On voit également une augmentation de la demande de charbon pour surmonter ce problème en Europe à court terme, soit essentiellement cet hiver, car on attend des approvisionnements additionnels provenant de projets de gaz naturel liquéfié dans le monde. Deux d’entre eux sont en Amérique, mais ils ne pourront pas livrer avant l’hiver européen. Bref, il s’agit d’un phénomène régional et localisé qui fait néanmoins la une et qui a des répercussions en ce moment.
Mark Brisley : J’ai mentionné plus tôt que l’inflation figure maintenant en tête des préoccupations. Elle fait les manchettes et alimente les discussions, mais qu’en est-il de la hausse des prix de l’énergie? Je suppose qu’il y a lieu de se poser les questions suivantes : la montée des prix de l’énergie aura-t-elle le même effet que l’inflation ordinaire sur le portefeuille des consommateurs? Sera-t-elle de nature passagère ou durable? Le comportement des consommateurs va-t-il changer? Les gens seront-ils portés à moins utiliser l’auto?
Jennifer Stevenson : Ce sont de bonnes questions. Nous sommes tous les deux assez âgés pour nous souvenir de l’époque où le prix de l’essence paraissait incroyablement élevé. Que faisons-nous? Quand on examine les données, on voit qu’il faut que les prix de l’énergie soient exorbitants, beaucoup plus hauts qu’aujourd’hui, pour que les comportements changent. Par exemple, le cours du pétrole doit se maintenir à 100 $ pendant un bon bout de temps avant d’avoir une incidence sur le comportement des consommateurs. Quand le budget consacré à l’essence ou au chauffage augmente, on coupe ailleurs. On réduit d’autres dépenses ou on choisit des marques moins dispendieuses. Au lieu du beurre d’arachides Kraft, on achète peut-être une marque maison. La hausse des prix de l’énergie n’a pas d’effet sur la demande d’énergie.
La relation entre le prix et la demande d’énergie, soit de pétrole et de gaz, est très inélastique, c’est-à-dire que la demande ne change pas en fonction du prix. En général, quand le prix d’un bien augmente, la demande diminue. Or, dans le cas de l’énergie, qui est un bien essentiel, la demande reste assez constante et s’accroît même un peu chaque année, sans égard au prix. Allez-vous arrêter de prendre votre voiture pour amener votre enfant à sa partie de hockey? Vous empêcherez-vous de prendre l’auto pour vous rendre au chalet de vos amis ce week-end parce que le prix de l’essence se chiffre à 1,75 $ le litre plutôt qu’à 1,25 $?
Mark Brisley : J’ai observé quelque chose d’intéressant. J’ai recommencé à me déplacer un peu plus et je me suis aperçu que dans les grandes villes, il y a moins de gens dans les transports en commun. J’imagine que c’est encore un peu par peur de contracter la COVID-19. En tant que gestionnaire de portefeuille spécialisée dans l’énergie, tenez-vous compte aussi de cet effet de la pandémie? Croyez-vous que la crainte de se retrouver dans des espaces restreints incitera les gens à délaisser les transports en commun au profit de l’auto ou d’autres véhicules à essence?
Jennifer Stevenson : C’est une bonne observation, en effet. Nous avons constaté la même chose que vous à certains moments de la pandémie. L’accroissement de la mobilité s’est reflété dans le transport privé plutôt que dans le transport en commun à cause des craintes de contagion. Les ventes d’automobile ont augmenté en Chine l’an dernier parce que les gens voulaient une voiture à usage personnel et non collectif. La demande de transport privé a clairement progressé au détriment du transport en commun. Toutefois, je crois qu’avec le temps, l’électrification gagnera du terrain. La demande pour des moteurs à combustion interne cèdera la place à la demande de batteries. L’effet ne se fera pas sentir du jour au lendemain.
Il se passe autre chose sur le front de la mobilité qui a aussi un impact sur le pétrole : les avions sont restés cloués au sol. En fait, les vols ont toujours été permis entre les États-Unis et le Canada, mais avec la réouverture des frontières le 8 novembre, les gens pourront se déplacer d’un pays à l’autre en auto. Par ailleurs, ils commencent à se sentir plus à l’aise de prendre l’avion et peut-être cela diminuera leur hésitation à l’égard des transports collectifs. De toute évidence, les gens ont envie de prendre des vacances. On le voit bien. La demande de carburéacteur, combustible provenant du pétrole, a augmenté, ce qui devrait se répercuter sur la demande de pétrole dans l’avenir.
Mark Brisley : Il est indéniable que des effets tangibles se manifestent au quotidien, comme la hausse des prix à la pompe. Si les prix du gaz naturel augmentent aussi, je suppose qu’on peut s’attendre à une facture de chauffage plus salée l’hiver prochain. Maintenant, d’un point de vue purement égoïste de consommateur, j’aimerais savoir s’il y a de l’espoir que certains problèmes se résorbent ou s’atténuent d’ici la période des Fêtes. Comment les consommateurs envisagent-ils la situation?
Jennifer Stevenson : L’hiver est froid en Amérique du Nord et la demande de gaz naturel dépend de la température. Les prix du gaz naturel ont baissé en octobre parce qu’il ne faisait pas encore froid. L’ouragan Ida, qui a durement frappé la côte américaine du Golfe du Mexique, a perturbé l’offre de gaz et de pétrole, plus particulièrement le gaz, mais la production a repris, ce qui donne un coup de pouce à l’offre. Je ne vois pas vraiment de changement à court terme pour le gaz naturel, puisque l’hiver s’en vient. Le temps froid s’installe chaque année et, chaque fois, on a besoin de gaz naturel pour combler la demande de chauffage. Cette année ne fera pas exception. S’il fait froid à Noël, les prix du gaz naturel vont monter.
Les Européens font face à la même réalité, mais ils paient des prix nettement plus élevés que nous parce qu’ils importent beaucoup de gaz, sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL). Nous avons déjà parlé de cette dynamique, mais ce que les gouvernements européens font, c’est qu’ils subventionnent les sociétés de services publics, ou les consommateurs eux-mêmes, pour les aider à traverser cette période de prix élevés, car il ne s’agit pas d’un changement structurel. On constate ce phénomène après l’hiver. Il y a plus de GNL parce que quelques projets ont vu le jour et l’offre de gaz naturel suffit à répondre à la demande après la saison hivernale. Le problème n’est pas aussi marqué en Amérique du Nord. Le gaz n’est pas donné, mais les prix se trouvent loin des niveaux d’Europe.
Mark Brisley : Je pense que tout cela montre à quel point le monde dépend toujours des combustibles fossiles. Je vais vous poser des questions sur un sujet dont nous avons déjà parlé plusieurs fois. Brouille-t-on les arguments en faveur d’une action climatique musclée? Il semble y avoir une grande différence entre l’énergie que l’on utilise actuellement et les cibles énergétiques auxquelles on aspire. Est-ce que certaines réalités sont mises de l’avant?
Jennifer Stevenson : La 26e Conférence des parties (COP 26), rencontre des Nations Unies sur les changements climatiques, se tiendra du 31 octobre au 12 novembre, c’est-à-dire dans deux semaines. À cette occasion, les quelques 154 pays qui ont signé l’accord des Nations Unies sur les changements climatiques, qui vise à maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 1,5 à 2°C, devront réaffirmer leurs engagements et démontrer qu’ils sont sur la bonne voie. Bien des engagements sont pris, mais je trouve que les politiciens sont rapides à affirmer qu’on va y arriver.
Ils n’écoutent pas les scientifiques qui disent : « On va y arriver, mais voici comment nous devons procéder ». Il s’agit d’un virage énergétique; il ne suffit pas de simplement appuyer sur l’interrupteur. Nous ne pouvons pas seulement promettre que toute l’énergie sera générée par le vent ou le soleil d’ici 2025. Nous sommes presque déjà rendus à la fin de 2021. Oui, les énergies renouvelables sont très rentables, surtout pour les entreprises qui les génèrent, et ce secteur affiche une croissance très rapide. Mais la fiabilité est tout aussi importante. Jusqu’à ce que nous puissions trouver le moyen de stocker tous ces électrons, nous avons besoin de l’énergie nucléaire et du gaz naturel pour répondre aux besoins de base et assurer cette fiabilité.
Nous verrons de plus en plus de manchettes associées à la rencontre COP 26 qui se tiendra à Glasgow, en Écosse, à mesure que nous approcherons. J’espère qu’ils adopteront un rythme réaliste et qu’ils accepteront certains faits concernant, notamment, le gaz naturel, qui doit être utilisé comme énergie de transition. C’est là que se trouve la croissance des énergies renouvelables. La technologie est valide, mais les exigences en hydrocarbures pour les choses simples mais essentielles comme le transport et le chauffage ne sont pas près de disparaître. Il faut le reconnaître et l’accepter, puis en tenir compte dans nos plans.
D’ailleurs, il existe des choses que nous pouvons faire avec les hydrocarbures, comme le captage et le stockage de carbone, ou encore, l’extraction directe de CO2 dans l’air. Ce faisant, il faut s’assurer de ne pas déverser de méthane et de respecter les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, soit ne pas dépasser 1,5 à 2°C de réchauffement.
Mark Brisley : Sans vouloir entrer dans la politique, il faut reconnaître que le président Biden a mené l’une des campagnes de lutte contre les changements climatiques les plus énergiques de l’histoire. Par conséquent, est-il un peu plus difficile pour lui de faire approuver certaines dépenses? Sur le plan de la gestion de portefeuille, de nombreuses occasions se présenteront à la suite de l’investissement majeur des Américains dans l’énergie verte et la lutte contre les changements climatiques, y compris certaines cibles qu’ils se sont eux-mêmes fixées. Comment pourrait-on voir l’influence des États-Unis en tant que chef de file mondial dans ce secteur en particulier?
Jennifer Stevenson : Joe Biden a certainement beaucoup fait campagne sur la question des changements climatiques avec son champion de l’environnement, John Kerry. Ensemble, ils sont très motivés à atteindre leurs objectifs en matière d’environnement et d’énergie propre. Je pense que ce type de projets de loi a tendance à être adopté. Les membres de la Chambre des représentants des États-Unis font tellement de négociations et il y a tellement de machinations en arrière-scène. Or, il y a un projet de loi visant les infrastructures et un autre sur la réconciliation budgétaire qui comportent de nombreuses composantes liées aux infrastructures et à l’énergie propre. Je pense que ces projets de loi sont adoptés dans une certaine mesure et, bien honnêtement, peu importe qu’ils engagent 2 ou 3 billions de dollars, du moment qu’ils sont adoptés. Le fait est qu’ils débloquent des montants considérables pour le développement et les dépenses dans ces secteurs et ces industries.
Par ailleurs, chaque État américain détient beaucoup d’autonomie. En Californie, par exemple, on mise déjà sur les crédits d’impôt pour les énergies éolienne et solaire. On travaille à élargir le réseau et on parle de le raccorder avec ceux des États avoisinants. Lorsqu’il y a un problème en Californie, on ne peut pas le régler avec l’aide de l’Oregon, de Washington ou de l’Idaho. Ces États ne peuvent pas alimenter la Californie parce que les États-Unis sont très régionalisés. Prenons un autre exemple : la tempête de verglas qui a frappé le Texas l’année dernière. Le problème avec cet État, c’est qu’il est comme une île : s’il y a une panne de courant, personne ne peut l’aider. Mais les choses sont en train de changer, et ce, sans l’aide du Sénat ou du Congrès ni soutien pour aller de l’avant, car tout peut se faire au sein même de l’État. Il se brasse beaucoup de choses là-bas, c’est certain!
Mark Brisley : Prenons maintenant un pas de recul. À long terme, comment se dessine la dynamique de l’offre et de la demande pour le pétrole?
Jennifer Stevenson : Les perspectives à long terme s’annoncent intéressantes. En ce moment, les sociétés pétrolières de partout dans le monde, disons de tous les pays non membres de l’OPEP, ont connu des années et des années de croissance et de hausses des dépenses. Leurs actions n’ont pas affiché la tenue en bourse à laquelle elles se seraient attendues et les prix ne se sont pas comportés comme prévu dans le cas des pétrolières nationales. Aujourd’hui, ces sociétés font preuve d’une grande rigueur en matière de gestion de capitaux. Elles génèrent d’énormes flux de trésorerie grâce aux prix élevés du pétrole et du gaz naturel. Or, elles se servent de ces liquidités pour forer d’autres puits, mais seulement pour maintenir leur production, et non pour prendre de l’expansion.
Examinons les perspectives à long terme du pétrole. Sur le plan structurel, l’OPEP dispose encore d’une certaine capacité excédentaire. Les pays membres de l’organisation se réunissent chaque mois pour décider d’augmenter ou de diminuer la production. Au cours des derniers mois, ils ont ajouté chaque mois 400 000 barils de plus par jour et ils ont encore plus de capacité excédentaire à exploiter avant d’être à sec. Les pays non membres, eux, ne dépensent pas pour prendre de l’expansion, mais plutôt pour maintenir leur production.
Dans le présent contexte, on peut affirmer sans trop se tromper que les prix de l’énergie pourraient se stabiliser à leur niveau actuel, plus ou moins cinq, huit, voire dix dollars, durant la transition en cours. Je crois que cette fourchette se maintiendra assez longtemps parce que la transition sera longue. Les énergies renouvelables présentent un potentiel de croissance considérable, mais la demande dans le secteur traditionnel du pétrole et du gaz naturel demeure. Même si la demande ralentit au fil du temps, la croissance de l’offre n’est pas au rendez-vous, ce qui devrait soutenir les prix à long terme. Mon point de vue sur le prix du pétrole est assez optimiste. Je ne crois pas que les cours atteindront 40 $ au cours des dix prochaines années en raison de la dynamique offre-demande actuelle et de la gestion responsable du capital.
Mark Brisley : Quand on pense au secteur énergétique du pays, il est difficile de ne pas aborder la question des pipelines. Est-ce possible qu’une hausse des prix du pétrole exerce une pression, particulièrement sur l’administration Biden, la forçant à considérer une augmentation de la capacité des pipelines entre les deux pays?
Jennifer Stevenson : Tout à fait. Durant sa campagne, Biden a promis de bloquer le pipeline Keystone XL, ce qu’il a fait dès son entrée en fonction. Keystone XL, le pipeline que construisait TC Energy, devait relier le Canada à Cushing, en Oklahoma. La section de Cushing jusqu’au golfe du Mexique est déjà construite. Dès son arrivée, Biden a révoqué le permis présidentiel qui avait été accordé. Ce n’est pas très gentil de faire ça à son voisin. Par la suite, les prix ont monté pour les raisons que j’ai mentionnées, avec la relance post-pandémie et le retard de production causé par l’absence de dépenses en capital, puis Biden demande à l’OPEP : « Pouvez-vous envoyer plus de pétrole? »
Il demande aux producteurs américains : « Pouvez-vous produire plus de pétrole? », alors qu’il aurait pu s’approvisionner à partir du Canada. Or, ce qui distingue le pétrole canadien, c’est sa densité : si on le verse à partir d’un seau, il ressemble davantage à de la mélasse qu’à de l’essence par son épaisseur et sa masse. Les raffineries américaines adorent ce brut lourd. Les États-Unis s’approvisionnent au Canada; avant, c’était le Venezuela. Ils s’alimentent encore un peu au Mexique. Ces raffineries sont conçues pour le brut lourd. C’est avec ça qu’elles obtiennent les meilleurs rendements et font le plus de profits. Les producteurs américains de gaz de schiste extraient un pétrole brut très léger qui ressemble davantage à de l’essence, ce qui n’aide pas les raffineries américaines.
Maintenant que la politique entre en jeu, que les prix sont élevés et que la construction des pipelines a été annulée, je crois que le sujet des pipelines est mort pour de bon. La ligne 5 d’Enbridge, qui traverse le détroit de Makinac, en Ontario, crée de la discorde entre le Canada et les États-Unis. Il existe des façons de contourner le problème, mais les gouvernements doivent s’entendre. Les jeux politiques ne finissent plus, la gouverneure du Michigan s’en mêle, bla, bla, bla.
Pour revenir aux pipelines, je pense que la construction de nouveaux tronçons est terminée. Enbridge a prolongé la ligne 3, soit les longues canalisations qui relient, encore une fois, le Canada aux États-Unis. Elle en a profité pour remplacer le pipeline vieux de 60 ans. C’était la bonne chose à faire pour des raisons de sécurité. L’approbation a pris beaucoup de temps, mais c’est fait; la ligne est en service et sa capacité est plus grande qu’avant.
Maintenant, la ligne 3 d’Enbridge est remplacée et l’oléoduc Trans Mountain est en construction. Keystone et Enbridge ont amélioré la capacité de pompage et d’écoulement du pétrole par l’ajout d’additifs, ce qui permet d’accroître le volume. Tout cela a accru la capacité d’exportation des pipelines canadiens. Comme Trans Mountain se rend jusqu’à la côte ouest canadienne, on peut envoyer des barils en Asie par exemple, ce qui est fantastique. Or, au pays, on n’a pas besoin d’augmenter la capacité des pipelines en ce moment. Le problème qui nous a accablés pendant des années et des années est maintenant réglé. Biden a été méchant quand il a barré la route à Keystone XL, mais il ne reviendra pas sur sa décision. Ce n’est pas grave. On a assez de capacité.
Politiquement, les États-Unis se soucient toujours du prix de l’essence. Le sujet va redevenir d’actualité, parce que les élections de mi-mandat approchent et le prix approche 4 $ le gallon, voire plus, selon la région et le grade de carburant. C’est toute une histoire. Pour cette raison, il est possible que les États-Unis commencent à écouler leur réserve stratégique de pétrole.
C’est ce qu’ils font quand les prix du pétrole et de l’essence sont élevés. Ça arrive toujours avant une élection ou une élection de mi-mandat. Ils écoulent du carburant de cette réserve stratégique dans l’espoir de faire diminuer les prix du pétrole, donc de l’essence, aux États-Unis. En gros, ça ne fonctionne jamais; si ça marche, l’effet dure à peu près une heure. Pourtant, on en entend beaucoup parler, et je crois bien que le scénario va se répéter. C’est toujours amusant à observer. La politique énergétique des États-Unis est très divertissante, n’est-ce pas?
Mark Brisley : Oui, effectivement, ou du moins, jusqu’à un certain point. J’ai une dernière question pour vous Jennifer. En tant que gestionnaire de portefeuille, vous investissez dans tout un éventail de segments du secteur de l’énergie. Vous avez parlé notamment du fait que la demande provenant des consommateurs en ce qui a trait aux modes de transport change. Je me questionne… Nous avons souvent dit que la pandémie a accéléré bien des choses. Je pense par exemple à l’énergie solaire, ou encore à l’hydrogène vert, et au comportement des consommateurs. Pendant combien de temps les prix de l’énergie devront-ils rester élevés avant que les gens commencent à songer à installer une thermopompe ou des panneaux solaires sur le toit? Où en sommes-nous dans cette conversation?
Jennifer Stevenson : J’aimerais que le Canada en arrive au même point que la Californie, du moins en ce qui concerne le solaire. En Californie, certains comtés offrent une subvention immédiate et il existe toujours des incitatifs fiscaux. Il est permis d’installer un système à panneaux solaires sur sa maison. Le convertisseur solaire est installé soit sur le toit, soit sur un mur du garage. Le système permet de stocker l’énergie dans des batteries, ce qui rend possible l’utilisation du solaire comme source d’énergie principale. Grâce à un compteur, l’utilisateur sait s’il génère plus de kilowatts qu’il en utilise. Il peut ainsi choisir d’accumuler cet excédent, de s’en servir pour recharger ses batteries ou de le vendre, complètement ou en partie, en le retournant vers le réseau.
S’il arrive que vous ayez besoin de faire appel au réseau, vous paierez un montant net. Grâce à tout ce système, les panneaux, le convertisseur, les batteries, il est possible d’être totalement indépendant du réseau. Pour cela, il faut posséder suffisamment de panneaux et d’espace de stockage, mais il existe des incitatifs financiers pour aider les gens à s’équiper. C’est très attrayant pour les consommateurs. Certains se diront qu’ils n’ont pas des milliers de dollars à investir pour équiper leur maison. C’est pour cette raison qu’en Californie, toutes les maisons construites dans de nouveaux quartiers intègrent cette technologie.
Ensuite, on peut voir les choses du point de vue du fournisseur d’électricité, qui demeure connecté à ces maisons. Toutes ces maisons génèrent de l’énergie solaire et peuvent la stocker, ce qui signifie que le fournisseur d’électricité peut l’utiliser comme source d’énergie de rechange sur son réseau. Cela fonctionne comme un réseau distribué de production et de stockage. L’utilisateur peut contrôler tous les paramètres à partir d’une application sur son téléphone. S’il le souhaite, il peut décider de ne rien envoyer au réseau public, ou encore permettre d’y rediriger jusqu’à 50 % de sa production, à condition que ses batteries soient chargées au moins à 80 %. Cette autonomie et cette souplesse permettent à l’utilisateur de se sentir en contrôle et, dans bien des cas, les gens se sentent grandement rassurés en sachant qu’ils peuvent charger leur véhicule en tout temps, même durant une panne causée par une tempête ou un incendie.
J’estime que cela fait une différence lorsque le gouvernement offre des incitatifs fiscaux pour alléger le coût initial. Je crois que du côté résidentiel, nous continuerons de voir une progression. J’aimerais que les Canadiens puissent avoir accès plus facilement à cette option. La technologie fonctionne très bien ici, où je vis, car nous avons un climat ensoleillé, même si nous avons aussi du froid et de la neige. Les panneaux fonctionnent, les batteries fonctionnent, tout fonctionne! Il existe un fort potentiel de croissance, bien tangible, à saisir.
Mark Brisley : Jennifer, nous avons couvert bien des points intéressants dans cette discussion. Je vous en suis reconnaissant, car nous avons beaucoup appris. C’est un sujet qui nous touche tous concrètement, dans tous les aspects de notre vie. Je vous remercie d’avoir été des nôtres et de nous avoir éclairés. Merci à tous nos auditeurs également. Nous serons heureux de recevoir Jennifer à notre micro aussi souvent que nécessaire, puisqu’il s’agit d’un sujet en constante évolution. Nous vous recommandons également tous nos autres épisodes de On the Money, que vous pouvez écouter sur Apple ou Spotify. Au nom de Fonds Dynamique, je vous remercie d’avoir été des nôtres. Soyez prudents et prenez bien soin de vous.
Vous venez d’écouter un autre balado On the Money de Fonds Dynamique. Pour en savoir davantage sur Dynamique et sa gamme complète de fonds, communiquez avec votre conseiller financier ou visitez notre site Web à dynamique.ca.
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